Laurent FABIUS

Chez Laurent Fabius on distingue nettement le Yang et le Yin (l’inversion est voulue), l’endroit et l’envers. Il possède de réelles qualités d’orateur mais il n’en fait pas toujours usage, choisissant le plus souvent de les négliger en affichant une certaine apathie, un relâchement soporifique. En ce sens, cet ancien Premier Ministre, en charge aujourd’hui du délicat Ministère des Affaires Étrangères, est éminemment paradoxal.

 

Le Yang d’abord : Lors des meetings il incarne parfaitement la Force à travers une bonne verticalité. Il est planté et sa base au sol ne vacille pas. Une réelle présence s’en dégage. A ces moments-là, il n’a pas le nez dans ses notes et fait preuve d’une incontestable maîtrise de l’art oratoire. L’orchestration de son discours est assurée et les variations opérées maintiennent le public sous le charme. Il sait ralentir le rythme et procéder à des montées en puissance soudaines et soutenues, avant de convoquer, l’instant d’après, le silence.

Ce silence d’un genre particulier, propre aux grands orateurs.

Barack Obama en use systématiquement. On le retrouve aussi chez le Général De Gaulle, François Mitterrand, Jacques Chirac et Paul Vergès. Ce silence est tout sauf un silence.Il donne de l’écho aux mots et leur laisse le temps de l’ancrage dans la conscience.

Les mots justement. Laurent Fabius a souvent les formules et les mots justes. C’est bien lui qui avait réussi à déstabiliser J-L Borloo, en direct sur un plateau de télévision, en juin 2007, en lui arrachant cet aveu aux conséquences électorales désastreuses pour le gouvernement de l’époque, concernant le projet de TVA sociale.   C’est un expert des effets de discours, tout comme Nicolas Sarkozy et…Marine Le Pen. Des effets qui sont parfois accompagnés d’une grande amplitude gestuelle et d’une riche palette émotionnelle. Il sait en effet user de l’affect et fait généralement mouche.

Enfin, et c’est un atout indéniable chez un orateur,il a une belle voix vibrante qui ne s’égare jamais dans les hauteurs.

Le Yin maintenant : Il s’avère cependant que ces forces et qualités mises en exergue sont trop souvent délaissées par leur détenteur, révélant un déficit de motivation au quotidien (pour ne pas dire d’ambition).

Il lui faut un combat digne de sa personne pour qu’il se réveille et se révèle.

Autrement, vive la léthargie triomphante ! C’est du moins ce qui se dégage de ses interventions les plus courantes (interviews, conférences de presse…).

Son regard, évasif, replonge continuellement vers le sol ou la table, en laissant place à un chapelet de « euh ! ». Ce défaut le caractérise fortement. Mais qui décroche le regard et rompt la libre circulation du fluide du vivant perd le rythme.

C’est ainsi que Laurent Fabius nous apparaît le plus souvent monocorde et franchement endormant, en manque de vitalité.

Et comme toujours, le non-butinage du regard déclenche une réaction en chaîne : la perte de la verticalité, l’inertie gestuelle, l’absence de variation et l’assèchement émotionnel. Ces différentes composantes de l’art oratoire sont organisées en réseau et se tiennent entre elles. La défaillance de l’une d’entre elles déséquilibre le tout.

C’est pourquoi Laurent Fabius est souvent vouté, les coudes et les bras reposant lourdement sur la table, et les mains oubliant leur rôle d’orchestration de la parole. Et si par bonheur il arrive à ses bras de se mouvoir, ce ne sont jamais les deux simultanément. Il ne cède qu’à moitié au mouvement, à la vie. Une impassibilité s’en dégage.

Avare en sourire vrai, il se contente de ce rictus mécanique produit par une forte remontée des commissures des lèvres et qui sonne forcément faux à certaines occasions. Déficit d’ouverture à l’autre. Il privilégie sa pensée à l’« être avec » le public.

C’est avant tout un cérébral. Il se concentre plus sur sa parole que sur le « parler à l’autre ». Et encore moins le « parler avec l’autre ».


Laurent Fabius se contente de bien faire son boulot, de parler « comme il faut », en étant appliqué et réfléchi. Tous louent son côté studieux et sa maîtrise des dossiers. Mais cela ne suffit pas pour faire un grand orateur, cet être captivant, fascinant et irrésistible. Il ne fait ni palpiter, ni vibrer de passions. Pour y parvenir, il lui faudrait se redresser et se totémiser, devenir incandescent, et s’accrocher en continu à son public.


Professoral, il apparaît aux yeux de ses camarades bien placé pour aller expliquer et argumenter sur les plateaux de télévision, les lendemains d’élections. Mais pour aller plus loin il lui faut franchir le pas qui sépare le professeur de l’orateur, le cérébral du tribun.

Ses qualités indéniables d’orateur, qu’il néglige souvent, expliquent en partie sa longévité politique. De sa génération il ne reste plus grand monde en première ligne. Les autres n’ont pas résisté à l’érosion du temps et aux tempêtes politiques. Lui est toujours là ! On ne dure pas dans cet univers impitoyable en étant dénué de qualités.

Conscient de sa force, Laurent Fabius fait paradoxalement le choix de la mettre en sommeil. Il ne doute pas de sa supériorité sur beaucoup d’autres. Qui a dit « Hollande, Président de la République ? On rêve ! », ce qui voulait sans doute dire : « Fabius, Président ? Voilà qui est plus concevable ! ».

Nous déduisons de notre analyse qu’il n’a pas encore renoncé à ses ambitions présidentielles. Nous le soupçonnons d’être en embuscade. Son savoir-parler, il se le réserve pour un rendez-vous futur. Mais en attendant, on s’endort et on demeure indifférent, jusqu’au risque de ne plus l’entendre et…de l’oublier.

Novembre 2013