David Poutou met à mort Goliath Fillon

Que retient-on du débat télévisé de mardi soir qui a réuni les onze candidats à la présidentielle ? Les « petits » ont pris leur revanche sur les « grands », qui auraient eu tout à perdre dans la répétition de cet exercice le 20 avril prochain, que France 2 a finalement annulé. Pour la troisième fois, depuis les débuts de la campagne présidentielle, nous sommes retournés voir Sham’s, spécialiste en Art oratoire et docteur en sciences et technologies des arts du spectacle. Nous avons « refait » le débat.

Un niveau hétéroclite

Du jamais vu ou presque : onze candidats à la présidentielle réunis sur un même plateau de télévision pour plus de trois heures d’un débat coproduit par BFM-TV et CNEWS. Pourtant, depuis les exercices des primaires, à droite puis à gauche, les postulants à la présidence de la République ont eu maintes occasions d’en découdre devant les caméras. Mais mardi soir, ce qui a frappé les téléspectateurs, c’était la diversité des concurrents. Objectivement, tous n’étaient pas au même niveau.

Jean Lassale a tenu des propos incohérents au point que le site d’information de France Info, réputé pour son sérieux, écrit que le député pyrénéen était « ivre« . Jacques Cheminade, avait lui aussi du mal à développer des arguments, ce qui se traduisait par des retards conséquents dans son temps de parole. Quant à François Asselineau, il s’est enfermé dans la répétition peu mobilisatrice d’articles réglementaires. Sham’s ne s’est donc pas attardé sur leur cas, comparant la prestation à un tournoi inédit de football où s’affrontaient de champions League avec des clubs d’inter quartiers. Lapidaire, il considère que Jean Lassale a tenu le rôle de « clown ».


Le triomphe de la joute
oratoire

N’empêche un « clown » n’avait-il pas sa place dans ce cirque ? Sham’s, en tout cas, se régale car il assiste « au triomphe de la parole en public« . Il remonte aux racines de l’antiquité : « Il faut remercier les petits candidats d’avoir mis le feu et d’avoir transformé le plateau de télé en une arène antique où se battaient les lions et les gladiateurs. C’est ça qui rassemble le public qui vient voir une mise à mort. Il veut que ça saigne. Et cette mise à mort sera la seule chose que l’on retiendra du débat ».

Or qu’a-t-on retenu du débat ? Sans l’ombre d’un doute, les violentes diatribes de Philippe Poutou contre François Fillon accusé de « se servir dans les caisses » et contre Marine Le Pen, accusée de « piquer dans les poches » de l’Europe et de se réfugier derrière le privilège de son « immunité parlementaire ».

« Je vais vous foutre un procès « 

L’ouvrier anticapitaliste a fait mouche en précisant que les salariés n’avaient pas, eux, « d’immunité ouvrière ».. Dans la même veine que le célèbre « casse-toi pauvre c… » de Nicolas Sarkozy, on retiendra le marmonnage de François Fillon : « je vais vous foutre un procès ». Son anaphore sur « un président exemplaire » n’a pas résisté au bruit des casseroles qu’ont fait tinter les deux candidats anticapitalistes, Philippe Poutou et Nathalie
Arthaud.

Les perdants

Voilà pour l’échange phare, même s’il y en a eu d’autres. La « mise à mort » symbolique qu’évoque Sham’s se traduire-t-elle par une défaite du candidat de la droite ? il serait évidemment présomptueux de le conclure. Mais la  bataille à « fronts multiples ». qui s’est jouée dans la nuit de mardi à mercredi laissera des traces au moment où les intentions de vote se consolident. Les lignes ont tremblé depuis les meetings et le premier débat à cinq qu’avait analysé le spécialiste.

Les « grands candidats » étaient contraints à rester sur la défensive alors que les six « petits », qui n’avaient rien à perdre, les attaquaient de toute part. Sham’s désigne deux perdants : François Fillon et Marine Le Pen, dont il souligne même l’ingratitude de son visage fermé lorsqu’elle ne parlait pas. Il y a quinze jours, il évoquait pourtant une possible victoire dès le premier tour pour la présidente du Front National tant elle maîtrisait bien la scène. Mais elle a montré clairement ses limites en situation de débat : « elle n’a pas la répartie de son père et raconte toujours la même chose ». Benoît Hamon, qui comptait beaucoup sur le débat, n’a pas réussi à remonter les courants contraires. Le jugement est sévère : « il a adopté la tactique du bourdon. Il attaquait, il interrompait, ça le rendait agaçant. Il haussait les épaules, avait l’air agité. Il ne souriait pas. Son discours est limité à sa culture idéologique que tous les bons socialistes apprennent dans leurs bouquins. Même quand il ne parlait pas, il présentait un visage ingrat ».

Les gagnants

La plupart des analystes de l’après-débat désignent Jean-Luc Mélenchon comme étant celui qui s’en est le mieux sorti. Ce que ne conteste pas Sham’s : « On connait son talent de tribun, tout le monde lui a dit de rester calme, de cultiver une image de sérénité. Mais l’inflexion oratoire ne doit pas sacrifier la personnalité passionnée. Sa conclusion était carrément apathique »,  Le candidat de la France Insoumise ne traduira pas forcément sa domination du débat dans les urnes car « c’est un faux gagnant, ce joli cirque n’aide pas ceux qui sont en tête des sondages, il légitime les petits qui vont leur piquer des voix ». Ainsi, Philippe Poutou, sans complexe et gouailleur, et Nathalie Arthaud, qui utilise des images chocs comme celle de la caissière virée pour avoir détourné un bon d’achat, ont sans doute gagné des voix à gauche. Et Sham’s voit Nicolas Dupont-Aignan, qui s’est montré solide, concret et sérieux, dépasser les 5%.

Emmanuel Macron s’est quant à lui employé à se faire oublier en préférant s’adresser aux journalistes plutôt qu’aux autres candidats. Il n’attaquait guère pour éviter les contres. Il n’a d’ailleurs pas répondu à toutes les attaques si ce n’est à celle de Dupont-Aignan sur un hypothétique conflit d’intérêts. « François Asselineau l’a démasqué en lui lançant qu’il était d’accord avec tout le monde », remarque Sham’s. « Emmanuel Macron est celui qui avait la meilleure conclusion. Macron fait président dans sa verticalité et sa façon de s’adresser aux Français ».

Franck CELLIER

LU DANS LE JOURNAL LE QUOTIDIEN DE LA RÉUNION DU 6 AVRIL 2017
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