Nicolas Sarkozy face à François Hollande

La Télévision, la Radio et la Presse écrite avaient demandé à Sham’s de suivre et de décrypter pour eux le débat télévisé opposant les deux candidats qualifiés pour le second tour des élections présidentielles françaises de 2012. Les comptes-rendus ont respectivement été présentés sur les ondes de Radio Réunion le 3 mai, le plateau de la télévision Réunion Première le 5 mai et dans les colonnes du Quotidien de la Réunion le 4 mai. Dans un souci d’exhaustivité et de clarté totale, lanalyste reprend ici son développement.

L’enjeu c’est « l’art et la manière »

Rappelons, en préambule, que lenjeu premier de ce genre de débat nest pas le contenu mais « lart et la manière ». Les programmes des deux candidats avaient déjà été suffisamment vulgarisés et relayés par les médias depuis des mois. Tout le pays ne vivait quau rythme de ce qui se jouait, jusquà plus soif. Il sagit donc, ici, dévaluer, dans cette épreuve orale dun genre
particulier, la personnalité, le tempérament, la solidité, lhabileté, l’intelligence et la réactivité de chacun des protagonistes
. Quant à la maîtrise des dossiers, ce point est supposé acquis à ce niveau, autrement il y a un problème grave. Lenjeu est si éloigdu fond quil suffit le lendemain découter la question qui surgit de toutes les lèvres :« qui a gagné ? » et non pas « quest-ce quils ont dit ? ». Voici reproduits les antiques combats au milieu des arènes. Et comme pour les gladiateurs, la foule amassée devant les écrans de télévision se passionne et compte les coups. Il n’y a que la mise à mort qui l’intéresse.

Habituellement Hollande affiche moins de qualités oratoires

Ce soirlà, de lavis de tous (quasiment), à la surprise générale, cest H (H pour François Hollande) qui la emporté. Une image des Guignols de linfo de Canal Plus, commentant lissue du débat, montre S (S pour Nicolas Sarkozy) quittant lestiments de la télévision dans une ambulance ! Les joutes verbales sont parfois cruelles. La victoire de H fut si nette que son propre camp en est resté hébété, tant le renversement dans la maîtrise de lart oratoire entre lui et S a été radical.

Dans les meetings S est manifestement largement au-dessus de son rival.Il ne se « couche » pas sur le pupitre comme H. Sa voix est dans la bonne résonance et suit de belles courbes rythmiques. Sa gestuelle est épanouie et il maîtrise parfaitement la variation de ses émotions, avec des montées en puissance bien menées.

A linverse, H néglige le respect de la verticalité et hérite en conséquence dune « voix de tête » au bord de la cassure et de lextinction. Il est dans le cri. Et on finit par sinquiéter pour lui au lieu découter
ce quil dit. Pour limiter, les imitateurs commencent en général par placer leurs voix en résonance de tête. Il a encore manifestement des progrès à faire sur son élocution et le phrasé de ses discours. Dans le sillage de la non-verticalité, ses bras se muent en béquilles, asséchant ses gestes, et sa base au sol se résume à un basculement-appu
i d’une jambe sur l’autre. Heureusement qu’il développe une forte charge empathique. Mais arrêtons le massacre et revenons au 2 mai 2012.

Sarkozy multiplie les erreurs

Ce soirlà, contrairement à d’habitude, H donnera à voir une verticalité impressionnante (cest plus difficile assis à cause de l’attirance de la table)tandis que son vis-à-vis apparaîtra recroquevillé sur lui-même, les bras souvent en appui sur la table.Et quand lAxe est perdu le reste suit et se défait. Cest ce qui sest passé pour S. Nous allons maintenant énumérer, si vous le permettez, ses erreurs les plus significatives.

S a souvent abandonné H du regard pour sadresser directement aux journalistes.Il a commencé assez tôt cette sortie de piste. Il sest, par exemple, quasi-exclusivement adressé aux journalistes lorsquil a parlé du « juge de rétention ». Cest également le cas à la fin, dans sa présentation du Président quil voudrait être. Il sagit pourtant dun « face à face » et non dun « face à côté ». Cette attitude pourrait être assimilée à un évitement, à une fuite.

Très souvent, au lieu de développer son argumentation, S a renvoyé des questions censées gêner son adversaire. Ce jeu est dangereux car on se dépossède en même temps de son statut dorateur pour le transférer à lautre. Cest à lautre de parler et moi jécoute. Je subis. Pourvu que lautre soit un peu habile et on se retrouve réduit au statut d’auditeur, de spectateur, voué à un rôle passif. Dans la suite du débat, H se sentant autorisé par S à intervenir au milieu de ses segments de parole, ne sest pas privé de linterrompre constamment, mettant ainsi en place une véritable tactique de bourdonnement qui a beaucoup troublé son interlocuteur.Le danger, pour H, à ce moment-là, cest dapparaître agressif et non respectueux de son adversaire. Mais celui quon accusait de « mou » était plutôt en déficit dagressivité et de pugnacité avant le duel. Ce torpillage ininterrompu du discours de S a donc joué en sa faveur. Et dire que cest ce dernier qui a créé les conditions de ce pge, malgré lui, en renvoyant trop souvent des questions ! Étrange que S ne se soit pas rebellé !

S avait souvent les mains jointes, le corps fermé, faisant entendre une petite voix en manque de résonance et donc insuffisamment affirmée. Voulait-il se construire à nouveau une posture de victime ? Le procédé avait fonctionné contre Ségolène Royal cinq ans auparavant. S aurait dû se redresser et relever pleinement le défi. Nul ne laurait accusé cette fois-ci de faire preuve darrogance masculine et de vouloir écrabouiller et humilier la femme jadis en face de lui. Tout le long de ce débat, S a accepté, inconsciemment, l’ascendant mental de H. Étonnant ! Sa posture exprimait déjà cela. Mais de surcroît il narrêtait pas de donner du « Monsieur François Hollande » tandis que ce dernier a souvent fait léconomie du « Monsieur » en le désignant. A un autre moment, agacé par le comportement effectivement autoritaire de H, Splique par un « merci de me donner votre autorisation de parler ». Oh my God ! Cest donc lautre qui autorise, qui tient les rênes, qui accorde la parole et donc qui est détenteur du pouvoir !
Même sur le mode de lironie, ce jeu demeure dangereux car on confère par là même la légitimité de lautorité à lautre.Plus loin dans léchange, H lui intime avec une certaine agressivité de lui répondre, et Sarkozy de retourner : « bien sûr que je répondrai à cette question ». S obtempère. Il sexécute. Incroyable ! Il finira tout de même par se rebeller pour sortir de la nasse en sappuyant sur la phrase-parade désormais classique : « je ne suis pas votre éve ». On peut cependant y voir un aveu déchec car, suivant toute vraisemblance, on aurait pu sattendre à ce que ce soit plutôt le super Président en place, plusieurs fois Ministre et ayant présidé aux destinées de lEurope à deux reprises, qui fasse la leçon à ce « novice notoire » de H, sans aucune expérience gouvernementale. Même pas un passé de Ministre. – Compte tenu de tout ce que nous venons dexposer, les attaques, somme toute assez rudes, portées par S, nont pas pu ébranler la tour den face, même si celle-ci a vacillé à certains moments. Ce fut le cas lorsque furent évoqués Dominique Strauss Kahn et le « mensonge » réputé habiter H. Linsistance appuyée de S sur le courrier de France Terre dAsile a manifestement quelque peu déstabilisé H, mais il a réussi à sen sortir en serrant les dents, le temps de laisser passer l’orage. Sa verticalité a certes bougé, lamenant jusquà la limite de la brutalité parfoispropos de Berlusconi par exemple et lorsquil a pointé son stylo, devenu une arme, vers S), mais, sur l’ensemble de ce très long débat, elle a tenu.

s lors H a montré un plus large spectre émotionnel alors quhabituellement S se révèle un maître en la matière. On a vu chez H de lironie, de la moquerie, de la colère, du rire, et des sourires éclatants, notamment à la fin, comme pour conclure un combat quil savait avoir remporté.

Hollande a été géant ce soir-Là

En conclusion, on rappellera que lArt Oratoire est inégalitaire. Le rapport de force installé structurellement entraîne toujours un déséquilibre en faveur dune des parties.séquilibre qui a tendance à saccentuer au fil de léchange, si le dominé ne produit pas un effort colossal de redressement. Ce jourlà, lascendance mental était incontestablement du côté de H et, en conséquence, S est apparu tendu, mal à laise, sur la défensive de bout en bout, jusquà cette note finale où il sadresse aux potentiels électeurs du Centre et du Front National sur le mode de la supplication : « Aidez-moi ! ». Non, Sarkozy na pas osé la confrontation totale.

Et pourtant H na pas été sans reproches. Hormis lagressivité dont il a fait montre, il est également apparu hautain et arrogant. Lentourage de S avait raison de le signaler. Mais on notera que condescendance rime avec ascendance. Que celui que lon qualifiait de « mou » et quon avait prévu d« exploser » se montre dominateur en sortant ses crocs et ses serres de rapace, cela ne peut que le servir.

H sest avéré également plus à laise dans léchange vivant, le tac-au-tac et l’improvisation plutôt que dans la restitution dun discours préparé. Il a un peu ânonné la présentation de son projet.

La désormais célèbre anaphore « moi, Président de la République » a été dit sur un mode récitatif et quasi-scolaire. H se défend de lavoir préparé mais nous refusons de le croire car au début de son énonciation il avait les bras croisés. La posture idéale de celui qui récite la leçon apprise.H devrait sérieusement travailler lhabillage vivant et spontané de ses discours pré-écrits. Ce que Mickaël Tchékhov appelle «lillusion de la première fois ».Un savoir-faire propre aux acteurs et qui savère ardu à appliquer. Mais la vraisemblance en dépend. Cependant, le martèlement de cette désormais célèbre anaphore a achevé de cimenter dans lestes sa légitimité de Président de la République, comme si le fait était déjà accompli. Limpact psychologique est indéniable. Les anciennes règles de la rhétorique sont loin dêtre caduques.

Lenjeu suprême, ce soirlà, tournait autour de la légitimité à être candidat, la crédibilité pour prétendre à la fonction, la stature de Chef d’État et laffirmation de la force.

Dans lensemble H sest montré plus respectueux des grandes règles de lArt Oratoire que son contradicteur : totémisation du corps, voix vibrante englobant le corps dans sa résonance, liberté gestuelle, orchestration du discours, variations adaptées des émotions et accrochage permanent, et même très insistant, du regard. Il est apparu très sûr de lui, affichant sérieux et rigueur dans son comportement, comme sil avait un besoin impérieux de démontrer quil maîtrisait aussi bien le contenu que la forme de ce face à face.

Non, H ne doit pas son élection quà lanti sarkozysme ambiant. Son talent y est aussi pour quelque chose et il la démontré aux yeux de tous au cours de ce débat. Il pouvait dès lors se gargariser en descendant du ring :« Jai montré aux Français ce soir de quoi jétais capable ».

Néanmoins, un mystère demeure et plusieurs questions continuent de nous triturer l’esprit : Pourquoi un orateur aussi brillant que S sest-il trouvé à la déroute à ce point ? Avaitil déjà jeté léponge dans le contexte de cette élection mouvementée et à lissue très incertaine pour lui ? Voulait-il vraiment être réélu ?

Et sil lui avait tout simplement manqué lultime règle de lart oratoire : La Foi et la Conviction.

 

ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES 2012 EN FRANCE

Débats Télévisés
02 mai 2012 – Durée 2 h 50 mn – 17,79 millions de téléspectateurs